"AUTOUR DU LIBRE 2000 - ENST Bretagne - 7/10 février à BREST"

 

Comment définir un "bon niveau" de protection de l’innovation ?

9/02 session I  15H15 - 16H30

 

Responsable : Nicolas Jullien
Intervenants : Jean-Benoît Zimmermann, Dominique Foray, Yann Dietrich et des étudiants
Rapporteur : Hossein Borojeni
Animateur : Nicolas Jullien, ENST Bretagne – département économie
Mél : nicolas.jullien@enst-bretagne.fr

Organisation :
Dans le prolongement de la conférence du matin sur " l'économie de l'innovation " animée par Jean-Benoît Zimmermann et Dominique Foray dans l’amphithéâtre de l’ENST Bretagne, cet atelier a été organisé dans le but de susciter une réflexion plus collective sur les incitations à innover dans le cas du logiciel libre. Concrètement, l’atelier a consisté en un débat ouvert avec les questions suivantes posées par l’animateur de l’atelier :

Suite à ces questions les participants ont eu une discussion d’1h15 alimentée par des points de vue différents où chacun a pu apprécier des éclaircissements apportés par les autres.

Synthèse du débat

Contexte :

Le débat a débuté par une rapide description du contexte actuel du logiciel libre : en effet, selon M. Zimmermann, nous sommes dans un régime de transition où le logiciel libre, qui s’est développé jusqu’à maintenant dans une logique de " science ouverte " avec une éthique académique basée sur la publication des œuvres, tend à se commercialiser. Aujourd’hui, nous n’avons plus le même altruisme. Car étant donné que certains gagnent beaucoup d’argent à vendre leurs travaux de développement logiciel, ceux qui le faisaient jusque là gratuitement risquent d’y être moins incités. Donc, il faut aujourd’hui chercher des modes de financement concrets pour les travaux réalisés en libre.

Les incitations individuelles :

Qui va continuer à développer le logiciel libre?

Selon un des étudiants participant au débat, il y a 2 phases dans le développement d’un logiciel :

En ce qui concerne le développement de la partie inventive du logiciel libre, il a commencé avant que le commerce s’y intéresse, il continuera donc à se développer après. Car il intéresse les développeurs passionnés et volontaires qui y mettent en valeur leur créativité. De plus avec le réseau Internet ils ont la possibilité de centraliser leurs travaux pour être plus efficaces.

Par contre, on peut imaginer que la deuxième phase de développement ait besoin de trouver son financement dans les entreprises. On peut penser que l’on tendra à la mise en place d’une sorte de subvention croisée : des versions de base de logiciels libres seront gratuites et à la disposition du grand public (afin d’inciter leur utilisation). Par contre le développement des versions corrigées et améliorées sera financé par les entreprises qui en sentiront le besoin. Ainsi le logiciel en soit n’aura plus de valeur marchande mais il servira à vendre autre chose. Ce système de subvention croisée est déjà utilisé dans le cadre de certains jeux vidéos où le moteur du jeu est gratuit mais ce qui est vendu est la partie accessoire et graphique. Dans les débuts de l’informatique, le logiciel servait à vendre le matériel ; on peut imaginer que dans le futur il servira à vendre des services et des compétences dans son utilisation. L’argent viendra donc du service rendu à l’utilisateur final. C’est d’ailleurs pourquoi le développement du libre ne fonctionne que pour des logiciels utiles au plus grand nombre tel que systèmes d’exploitation ou traitements de texte. Mais les petits logiciels spécialisés ne seront pas développés en libre.

Les incitations industrielles :

Mais faut-il encore arriver à convaincre les entreprises qu’elles ne perdent pas en compétitivité en investissant dans le logiciel libre ? Car à l’heure actuelle, force est de constater que beaucoup d’industriels y sont plutôt réticents. Et même si de plus en plus d’entreprises prennent l’initiative d’ouvrir le code source de leurs logiciels (par exemple, Netscape Communicator), elles n’adoptent pas pour autant les contraintes de la licence GPL. Car le libre, tel qu’il est défini avec le GPL, pose de nombreux problèmes aux entreprises. Un de ces problèmes est le fait que rien ne protége une entreprise de développement contre la commercialisation, par ses concurrents, de son logiciel déposé sous GPL. Toutes les licences hybrides qui apparaissent entre le copyright et le copyleft sont bien la preuve que les entreprises ne sont pas convaincues que le GPL favorise la protection de l'investissement.

Ne faudrait-il donc pas imaginer d’autres formes de protection plus adaptées au contexte actuel du logiciel ? En particulier, est-il possible d’y appliquer le système des brevets ?

Le principe du brevet est de divulguer la totalité de l’invention et de récompenser l’effort de l’inventeur. Et ceci a un effet d’induction sur le savoir résoudre car dans une invention il y a surtout des idées et des méthodes pour la résolution de problèmes. Une solution apportée à un problème donne des idées de solutions pour d’autres problèmes. Mais est-elle brevetable, ce qui n’est a priori pas évident pour l’homme de l’art (expert du domaine) ? Il faudrait donc pouvoir détecter dans un logiciel ce qui est " nouveau " et donc brevetable. Mais comment peut-on évaluer le degré de l’innovation d’un logiciel et qui en a les compétences ?

Mais pour M. Zimmermann, on ne peut pas léguer entièrement la protection de l’innovation aux simples licences et outils juridiques. Car chacun sait que prouver la contrefaçon d’un logiciel quand le code source est fermé n’est pas toujours évident. Dans ce cas qu’est-ce qui empêche, par exemple une entreprise, de prendre un logiciel libre développé par des volontaires, lui apporter des modifications sur ses interfaces, de fermer ensuite le code source et de le revendre pour son compte ?

La dynamique de l’innovation :

En réaction à cette question, un des étudiants a remarqué que le cas du développement logiciel ne pouvait pas être vu comme un cas statique mais qu’il devait au contraire être analysé dans sa dynamique d’évolution. Car pour un logiciel, les versions se succèdent et le perfectionnement est très rapide. L’expérience a montré qu’une entreprise ne peut pas prendre un logiciel libre et continuer à le développer toute seule parce qu’à partir du moment où elle sépare le logiciel de son arbre de développement mondial (celui du libre, toujours beaucoup plus grand que celui d’une entreprise), elle se retrouve très vite en retard : la puissance du libre est dans son collectif de création.

La coopération serait-elle donc plus efficace que la concurrence ? Nous touchons peut-être ici aux limites des firmes.