" AUTOUR DU LIBRE 2000 - ENST Bretagne - 7/10 février à BREST "

Produire un logiciel commercial en utilisant des composants libres.

Synthèse de l'atelier A1 du 9/02 session I (15H15-16H30)

Responsable : Eric Cousin
Intervenant(s) : M.Clément-Fontaine + S. Pierrel
Rapporteurs : Karl Rielland & Jordi Osso

 

Animateur : Eric Cousin, ENST Bretagne – département informatique

Mél : eric.cousin@enst-bretagne.fr

Le premier intervenant : Mélanie Clément-Fontaine est doctorante en droit de la propriété intellectuelle au sein de l'équipe ERCIM de l'Université de droit de Montpellier.
Elle est l'auteur d'une étude juridique de la licence Publique Générale GNU  sous forme de mémoire réalisé dans le cadre du DEA droit et créations immatérielles sous la direction du Professeur Michel Vivant.
Mél : melanie@amberlab.net

 

Le deuxième intervenant : Sidoine Mosiah Pierrel - IONIX Services.
Mél - sidoine.pierrel@ionix-services.com

 

Présence d’une vingtaine de personnes à l’atelier.

Organisation :

Le thème de l’atelier était d’envisager les activités de production et vente de logiciel dans le contexte du logiciel libre, en s’intéressant en particulier à la problématique de la mixité libre-non libre. Pour aborder ce thème, l’atelier s’est décomposé en deux parties principales, l’une traitant des aspects juridiques et l’autre des aspects plus marketing. La première partie, " Produire un logiciel commercial en utilisant des composantes du libre : outils et obstacles juridiques. ", traitait avant tout des aspects de la mixité libre/non libre, du droit de la consommation et des stratégies contractuelles. Le problème du trop grand nombre de licences a aussi été brièvement abordé en fin d’atelier. L'aide d'un juriste ou d'un avocat s'avère être de plus en plus incontournable.

La seconde partie, " Libre et stratégie commerciale ", s’intéressait plus aux formes de commercialisation, à l’alchimie entre plate-forme libre et commerce et en quoi le logiciel libre est une composante commerciale essentielle sur le marché informatique de demain.

Nous allons donc rapporter les propos qui se sont tenus lors de cet atelier, puis nous essaierons d’apporter une réflexion sur le thème abordé et trouver les passerelles entre les différents ateliers du colloque.

 

Synthèse de l’atelier :

Le premier exposé avait pour but de définir le cadre juridique autour du libre. De cette première intervention, les axes de discussion suivants ont émergé :

  1. Le libre dans les autres logiciels (problèmes des licences, importance du contrat).
  2. Le droit des logiciels et les différents types de consommation (cession ou concession).
  3. Les contrats des logiciels et l’importance de leur rédaction.

Durant l’atelier l’exemple de la licence GPL a souvent été utilisé. Pour intégrer un logiciel GPL à d’autres types de logiciel, il est nécessaire d'obtenir l'accord du ou des propriétaires des droits (le ou les auteurs du logiciel). En général, il y a accord si les termes du contrat de l’autre logiciel permettent la liberté, mais de toutes façons cela reste du cas par cas. On a vu qu’on devait également tenir compte du droit de la consommation puisque les différentes formes de consommation d’un logiciel modifient les règles de droit qui s’appliquent. Il faut distinguer la cession et la concession. Dans le premier cas, le contrat est cédé et le droit de la consommation impose à l'éditeur une obligation de responsabilité. En plus des droits du contrat, le nouveau propriétaire hérite des droits mais aussi des devoirs de propriétaire. Dans le cas de la concession et en particulier lorsque celle-ci est gratuite (cas des logiciels libres le plus souvent), il n’y a pas vente mais prêt de contrat, donc pas d’obligation de garantie pour la personne à qui le logiciel a été concédé.

L’importance des contrats a aussi été notée au cours de l’atelier. Puisqu’un logiciel devient libre ou propriétaire de par son contrat. Si le logiciel est libre, on doit pouvoir avoir accès au code source, on peut le diffuser et le modifier. Il est donc primordial de bien rédiger le contrat. Il lie les parties et tient lieu de loi pour ceux qui l’ont signé. Il doit être clair et complet. Du fait du caractère international des logiciels libres, il est primordial de préciser à la fois la juridiction compétente et la loi applicable en cas de conflit. Un préambule fixant le cadre d'interprétation du texte de la licence peut aussi éviter de nombreuses déconvenues. Toutefois, il est à noter qu'à la connaissance des participants de l'atelier, aucune jurisprudence portant sur le logiciel libre n'est disponible, même aux Etats-Unis.

Il est cependant bon de noter que le trop grand nombre de licences ne facilite pas la compréhension du produit par le client. Ce grand nombre de licences nuit certainement au développement du logiciel et il faudra régler ce problème pour espérer toucher le plus grand nombre.

Le deuxième exposé abordait des aspects plus marketing et commerciaux autour du logiciel libre. La première réflexion autour de ce thème aura été de bien définir le marché. En effet, l’entreprise a un but lucratif. Si elle produit ou utilise des logiciels libres, elle pense qu’elle pourra en retirer un profit. Les mercaticiens ont avec le logiciel libre un nouvel outil qui leur permet de créer des services et produits nouveaux venant de besoins exprimés ou non. En effet, le logiciel libre bouleverse ce monde du marketing puisqu’il ouvre des champs encore non-exploités. Une entreprise qui produit du logiciel libre déplace ses centres de profit, de la vente du logiciel en soit vers les services et add-on qu’elle peut proposer autour du logiciel. Elle doit donc totalement repenser sa politique marketing et situer le logiciel libre comme le point de départ de son offre qui lui permettra de vendre ses services aux clients. Mais le libre fait peur également car il implique plus de libertés et de profonds changements dans les habitudes autant marketing, commerciales qu’organisationnelles des entreprises.

Au cours de cet exposé, nous nous sommes alors intéressés à la question, pourquoi une offre libre ? ". La solution à cette interrogation se trouve probablement dans l’élimination de la concurrence et dans la possibilité d’asseoir sa propre marque. On élimine la concurrence parce qu’on déplace les barrières à l’entrée. L’important n’est plus le logiciel lui-même mais les compétences, et donc les hommes, qui sont derrière. Tout le monde possède la même information en même temps, il n’y a plus de niche. On peut asseoir sa marque plus facilement en distribuant du libre, on peut ensuite vendre des services et produits derrière cela. Toutefois, il est apparu que ces avantages ont des limites. Il faut prendre garde de ne pas s’écarter de son cœur de cible en développant son produit (Cf. Red Hat, qui disait s’adresser au grand public, a refusé KDE au départ et est devenu élitiste au profit de Mandrakesoft qui a conquis le grand public, laissant les entreprises à Red Hat.).

Le cas de grandes sociétés ayant mis un de leur produit logiciel en libre a été mentionné. L'objectif de telles actions est vraisemblablement d'imposer une technologie et d'augmenter gratuitement la base de développeurs (grâce à la " communauté libre ").

Le débat s’est alors orienté autour des centres de profit du logiciel libre. Or, il apparaît qu’il n’y en a qu’un seul, le savoir-faire (unique à chaque équipe), qui peut se décliner sous forme de services, d'add-on ou d'évolutions de produits (versions "pro"). Le modèle économique de ce marché est proche de celui d’Internet, il faut être la référence et donc souvent le premier. Le libre n’est pas forcément moins cher puisque dorénavant, on vend les compétences. C’est l’humain qui apporte de la valeur au produit (Cf. IBM qui s’annonce comme offreur de service, IBM estimait même pouvoir atteindre un chiffre d’affaire composé de 60% de vente de matériel et de 40% de services). Puisque le savoir-faire est le seul centre de profit avéré du logiciel libre, la seule façon de se démarquer de la concurrence est de posséder des compétences particulières et distinctes de ses concurrents. Or, la seule façon de mettre en avant ses compétences et son potentiel est de proposer des services particuliers (accompagner l’offre chez le client, de la formation, de la maintenance…), c’est pourquoi les entreprises se transforment plus ou moins en prestataires de services et que la part des services dans les chiffres d’affaires des entreprises ne cesse de croître.

 

 

Ouvertures sur les thèmes précédents :

Certaines idées soulevées au cours de cet atelier apparaissent comme particulièrement importantes. On s’est ainsi rendu compte qu’il était primordial de réussir l’alchimie entre le marketing et le logiciel libre, à savoir " récupérer " du libre et l’organiser. D’autant plus qu’avec le libre, le mercaticien n’a plus d’obligation mais a tous les moyens disponibles de par la nature même du produit, pour agir. Dans ce nouveau contexte, son rôle est essentiellement de faire du "packaging" d'éléments préexistants. Le logiciel libre est un produit encore en développement, son secteur d’activité n’est pas encore mature, il n’a donc pas encore été exploité par les mercaticiens. Pour reprendre une métaphore utilisée par un des intervenants, "  le mercaticien se retrouve avec le libre, devant un gigantesque boîte de Lego, avec tous les éléments qu’il a pu imaginer ", au départ cela va certainement l’effrayer (ce qui est probablement le cas actuellement) mais rapidement, il va essayer d’exploiter ce formidable nouveau " jouet " qui lui offre des possibilités qu’il n’avait jamais connues. Le logiciel libre par nature est évolutif, on peut aisément faire évoluer le logiciel en fonction des besoins du client (on possède les codes sources que l’on peut à sa guise modifier, faire évoluer). Le client ne dépend plus d’un fournisseur ou d’un standard mais peut décider exactement de ce dont il a besoin, trouvera toujours des compétences pour développer son produit (même si son fournisseur disparaît) au sein de la communauté libre. Le client n’est plus tenu de choisir des logiciels pré-existants mais peut les adapter à ses besoins propres.

Le marketing doit comme on l’a vu, orienter mais il faut être capable d’obliger mercaticiens et techniciens à rester dans l’orientation fixée au départ, sous peine de s’écarter de son cœur de cible. Le logiciel libre apporte aux mercaticiens comme aux techniciens des perspectives nouvelles qui, si elles ne sont pas canalisées, risquent de faire dévier l’entreprise de ses objectifs.

Le libre bouleverse le marché des entreprises clientes qui n’ont plus seulement comme interlocuteur d’autres entreprises mais une communauté qui améliore sans cesse le produit. Les entreprises qui fournissent du libre deviennent d’ailleurs des prestataires de services et non plus des producteurs. Elle s’oriente vers la vente de savoir-faire et le libre est le moyen de cette transformation. C’est une tendance qui existait certes déjà mais, qui convient particulièrement bien au libre. Puisque l’intérêt du fournisseur du logiciel n’est plus de vendre le logiciel mais les services autour de celui-ci.

 

 

Conclusion :

On a pu donc constater durant cet atelier que les enjeux autant juridiques que commerciaux, autour du libre sont nombreux et que le libre de par sa nature bouleverse les habitudes du marché. Il devient un support à la vente de services et donc un formidable nouvel outil marketing pour les entreprises. Le logiciel libre permet en effet aux clients de s’affranchir des standards et de la puissance des éditeurs de logiciels propriétaires. De plus, il pourra toujours trouver les compétences nécessaires au développement de son logiciel au sein de la communauté libre qui travaille sans cesse aux évolutions de celui-ci. Le logiciel libre offre donc des opportunités nouvelles et enrichissantes car personnalisées et évolutives aux entreprises.

Le logiciel libre a néanmoins toujours quelques défauts qui l’empêchent de gagner le marché du grand-public et de sortir du secteur informatique dans lequel il est encore confiné : il nécessite encore des compétences particulières pour être installé et utilisé, il règne un flou juridique autour du libre (grand nombre de licences, problèmes de droits de propriété…) qui en limite sa diffusion, le produit est encore jeune et donc mal connu (et certainement sous-exploité) or les gens n’achètent que ce qu’ils connaissent.

De plus, le marché du libre est lui aussi en train de changer, il n’est plus réservé aux passionnés d’informatique, les entreprises s’y intéressent et veulent faire du profit. Les acteurs de ce marché sont donc en train de changer au profit de ces entreprises dont les buts s’éloignent peut être du but originel du logiciel libre. Le marché est amené à se structurer, notamment grâce à l’apport d’ " ingénieurs marketing " qui possèdent à la fois les compétences techniques nécessaires à une bonne compréhension du produit (et des acteurs du marché) mais aussi une bonne compréhension des mécanismes économiques et marketing qui sous-tendent le marché.

Il est peut être regrettable de noter que certains aspects n’ont été abordés que de façon superficielle, notamment à propos des notions de cessions/concessions dans la partie juridique de l’atelier et des outils marketing nécessaires (stratégie à suivre, comment cibler son marché, comment positionner son produit par rapport à la concurrence…etc.) au bon développement du logiciel libre. On aurait pu également souhaiter aborder de façon plus précise les services que les producteurs de logiciels libres peuvent offrir à leurs clients et comment en faire une promotion adaptée au marché particulier du libre.