Jean PAUCHARD, CIRLEP (EA 2071) Université de Reims |
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L'ECRIT, LES MOTS, LES CHOSES |
Lorsqu'en octobre 1662
l'académie des sciences d'Angleterre, la Royal Society, demande à son secrétaire,
l'évêque John Wilkins, d'élaborer une caractéristique réelle et une langue
'philosophique', ce n'est pas une mission humanitaire et philanthropique qui lui est
confiée - comme celle dont pourront se sentir investis l'évêque Johann Martin Schleyer
pour le volapük ou le docteur Louis-Lazare Zamenhof pour l'esperanto à la fin du XIX'
siècle - c'est bien plutôt d'une entreprise scientifique qu'il est
chargé : mettre au point une notation juste et fidèle du monde sensible et idéel qui
permette d'éliminer la possibilité de tout égarement et de toute hérésie au plan
religieux aussi bien que de toute erreur au plan scientifique. Il s'agit, en d'autres
termes, de construire un système qui, mieux que les langues traditionnelles, assurera les
conditions d'émergence d'un discours vrai par une adéquation entre
monde réel et monde des représentations. Cette mission n'est pas l'effet du hasard et l'idée n'en a pas germé sans précédent. L'une et l'autre se situent dans le cadre général de la Révolution Scientifique qui bouleverse tout le XVIIe siècle. Le point de départ est sans doute l'Instauratio magna de Bacon (La Grande Restauration des sciences) qui dès le début du siècle relance la recherche scientifique et propose l'invention de caractères 'réels' pour noter, non plus les mots, mais les choses et notions . Une autre source, indirecte celle-là, est à rechercher dans les avancées que depuis le siècle précédent connaît la botanique. Cyprian Kinner lance l'idée de vocables techniques pour remplacer le nom des plantes par une notation mnémotechnique de leur définition. Chaque syllabe serait réservée à une partie de la caractérisation de la plante (description, propriétés, habitat) et dans chaque syllabe, consonnes et voyelles prendraient des significations différentes. Le nouveau vocable attaché à chaque plante constituerait ainsi un résumé de la nature même de celle-ci. C'est une idée analogue que met en oeuvre John Wilkins. Il s'agit toujours de se défaire des mots (écrits) de la langue qui, par leur notation alphabétique, sont asservis à la langue parlée, différente pour chaque nation. Au lieu de chercher à noter la prononciation des mots, Wilkins entreprend de court-circuiter la langue et de mettre en oeuvre une représentation graphique directe du réel au moyen d'un ensemble de caractères d'où le nom de caractéristique réelle que prend son projet. C'est ce projet de nomination du monde, de science faite verbe qu'on se propose ici de décrire avec sa notation graphique qui devrait signifier des choses et non des mots (signifie things and not words, Essay, p. 21). |