Jean PAUCHARD
CIRLEP (EA 2071).Université de Reims Champagne-Ardenne
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Taxonomie dans l' Essay (1668) de John Wilkins

 

Nouvelle Philosophie , tel est le nom que reçoit à l'époque le fruit du prodigieux essor que connaît la science au XVII e siècle. Astronomie, mathématiques, physique, chimie, botanique, zoologie : il n'est pas un domaine des connaissances qui ne soit partiellement touché ou totalement renouvelé par les effets de la méthode expérimentale invoquée par Bacon (1561-1626) ou par Galilée (1564-1642). De nouveaux appareils voient le jour, qui à la fois représentent des cristallisations concrètes de la science en mouvement et favorisent son expansion : microscope et lunette astronomique, d'abord conçus aux Pays-Bas, balancier spiral (Huygens), thermomètre (Galilée), baromètre (Torricelli), machine à calculer (Pascal), etc.

Ces bouleversements de l'ordre des connaissances engendrent des besoins de concertation et des exigences de communication qui vont grandissant tout au long du siècle. La concertation est favorisée par la création de groupes et de salons informels qui bientôt s'institutionnalisent en académies. Le mouvement naît en Italie. Il concerne tout d'abord le domaine de la langue avec l' Accademia della Crusca , fondée à Florence en 1582 (l'Académie française ne verra le jour que cinquante ans plus tard). Il s'intéresse également aux questions scientifiques comme le prouve la création de l' Accademia dei Lincei à Rome en 1603, dont le membre le plus connu est Galilée, celle de la Royal Society à Londres en 1662, puis celle de l'Académie des sciences quatre ans plus tard en France.

Il ne suffit pas que chaque pays se dote d'une centrale nationale de production d'énergie scientifique. Il est nécessaire de placer ces centrales en réseau. C'est ainsi que se tisse tout au long du siècle une toile scientifique fondée sur des échanges épistolaires denses qui favorisent une circulation accrue et accélérée de l'information. Les principaux moteurs de la recherche sont en France Marin Mersenne (1588-1648) et en Angleterre Samuel Hartlib (v. 1600-62) ou Théodore Haak (1605-90). Bientôt, en 1665, voient le jour des publications destinées à disséminer de façon systématique la connaissance scientifique : Journal des sçavans en France et, trois mois plus tard, les Philosophical Transactions de la Royal Society .

Pour des raisons qui combinent la nécessité de voir émerger une langue commune à l'Europe savante et le rêve d'arrimer cette langue à la connaissance scientifique, des projets divers de moyen de communication écrite (éventuellement oralisée) sont élaborés, dont les plus attachants sont ceux de « langue philosophique ». De même que Marcello Malpighi (1628-94) et Robert Hooke (1635-1703) font apparaître que les plantes sont constituées de cellules, de même que Robert Boyle (1627-91) formule son hypothèse corpusculaire sur la nature de la matière, de même l'idée peu à peu prend corps d'une langue dont les mots seraient constitués de caractères démontables en unités élémentaires branchées directement sur leur référent extralinguistique, les « choses ». Ces mots techniques ( voculae technicae ) conçus en 1647 par Cyprian Kinner (fl. 1650) ne sont peut-être pas à l'origine directe des langues « philosophiques » qui naissent dans la seconde moitié du XVII e siècle, ils n'en représentent pas moins un concept ambiant, comme la structure cellulaire des plantes mise en évidence par Hooke et Malpighi de façon indépendante ou encore le calcul infinitésimal, découverte quasi simultanée de Newton (1642-1727) et de Leibniz (1646-1716). Toujours est-il que deux systèmes, liés au départ, qui naissent dans les années 60, reposent sur la classification d'unités élémentaires. Ces unités élémentaires sont pour le George Dalgarno (1616-87) de l'Ars signorum (1661) des notions premières en nombre inférieur à celui des lettres de l'alphabet. Pour John Wilkins (1614-72) il s'agit de « mots » correspondant à ce que Bacon nomme « choses et notions » dans son Advancement of Learning de 1605 et dont le nombre est nécessairement bien plus élevé. Ce calcul infinitésimal du réel donne lieu à classification, à une classification de type encore aristotélicien, per genus et differentiam , avec cette différence que la base de la classification passe de l'essence à la connaissance. La classification se fait alors science.

C'est un exemple de cette taxonomie, suspendue entre Aristote et Linné, qui est ici examiné au travers des Tables encyclopédiques où Wilkins veut procéder à une classification de l'univers en imposant à l'ordre des mots celui des choses afin de donner le jour à un système scientifique de communication.