Renata Stela VALENTE
ILTEC-Lisboa
renata@iltec.pt

 

Le Signifié spécialisé du terme

 

Dans la plus récente littérature en Terminologie on parle de plus en plus du sens du terme, contrairement à la littérature de la Terminologie traditionnelle où le terme concept est largement employé. De plus, les plus récentes approches tentent de mettre en relief le terme comme un signe linguistique, donc ayant un signifié et un signifiant. On observe un effort de rapprocher le terme du mot (Cabré 1999, 2000a, 2000b), ainsi que la discussion autour de la difficulté d'observation du concept. Selon Lara (1999), une analyse du concept n'est pas concevable, vu qu'il n'y a pas de preuve neurophysiologique ou psychologique de son existence. Selon lui, nous ne pouvons qu'analyser le signifié et alors tirer quelques conclusions au sujet du concept. Il montre que les signifiés des lexies de l'espagnol colchón et d'amortiguador candidates potentielles à des équivalents du terme anglais buffer en informatique, n'ont pas les sèmes nécessaires pour être ses équivalents. Selon Lara, tant  colchón que amortiguador ont été rejeté par les informaticiens mexicains et ils ont dû emprunter le terme anglais. Il est intéressant de voir que si les informaticiens mexicains peuvent conclure que l'espagnol n'offre pas un signe linguistique dont le signifié du signe remplirait les exigences du concept, c'est parce qu'ils connaissent le concept. En d'autres mots, on ne peut pas dire que le signifié du signe est bien présent dans le milieu des informaticiens mexicains, vu qu'il n'y a pas de signifiant du signe, par conséquent il n'y a pas de signe linguistique : c'est le concept qu'ils considèrent. Notons que ce concept est bien spécifique; il s'agit d'une image précise, bien construite et bien délimitée. Il ne s'agit plus d'une “ abstraction par laquelle on structure le monde ”, définition largement répandue du terme concept. Alors, nous avons ici une autre acception de concept. Nous pouvons ainsi postuler qu'il y a deux acceptions de concept (Valente 2002) :

concept1 = “ construction mentale utilisée pour classer les objets individuels du monde extérieur ou intérieur par une “ abstraction ” plus ou moins arbitraire ” (recommandée par ISO R704, avril 1968) ;

concept2 = concept terminologique, c'est-à-dire une idée très précise liée à X [= objet, action de Y, processus de Y, état de Y ou qualité de Y] restreinte à un domaine.

Depecker (2000) arrive également à quelques conclusions au sujet du concept par le biais du signifié. Dans un contexte de création lexicale en français, il observe que les sèmes de la lexie chatoiement, candidate potentielle à équivalent du terme anglais speckle présentent un caractère positif, tels que ‘brillance', ‘soyeux' et ‘richesse', tandis que le terme anglais comporte de sèmes à caractère plutôt négatif.

À partir de travaux de ces deux auteurs montrant un décalage entre concept et signifié du signe et de l'analyse par décomposition sémantique réalisée sur 40 lexies de la micro-informatique en portugais brésilien, où nous avons observé l'émergence d'une lexie spécialisé par une composante sémantique spécialisée à partir d'une lexie d'origine en langue générale (Valente 2002), nous avons conclu que :

1. si un concept2 c “ pointe ” vers un certain signe de la langue, c'est que le signifié de ce signe comporte les sèmes nécessaires pour “ abriter ” tout ce qu'il y a de plus saillant dans c. Notons cependant que le signifié du signe doit, le plus souvent, s'adapter au concept2 c pour pouvoir “ abriter ” c.  Ainsi élaboré, le signifié d'un terme est un signifié particulier vu qu'il a été construit de façon consciente, c'est-à-dire bien défini ; nous l'appellerons signifié spécialisé.
2. c'est par le concept1 que nous structurons le monde;
3. c'est par le concept 2 que les spécialistes structurent leur domaine;
4. le signifié spécialisé (du terme) et le concept 2 ne sont pas synonymes;
5. un signifié spécialisé (du terme) “ abrite ” tout ce qu'il y a de plus saillant dans un concept 2 correspondant.